CERCLE D'ETUDES  VERNONNAIS
Les tapisseries volées
de la collégiale Notre-Dame de Vernon.

         Une tapisserie est un revêtement mural utile et agréable servant à la fois de décor pour les fêtes et de protection contre le froid. L’architecture gothique a davantage favorisé l’emploi de la tapisserie dans les monuments civils que dans les bâtiments religieux puisqu’à cette époque leurs murs s’évident au profit des verrières.
         La collégiale de Vernon possédait un ensemble de six tapisseries. À l’origine, elles étaient tendues autour du chœur, au-dessus des chanoines comme cela se faisait généralement au Moyen Âge. Elles furent ensuite disposées le long des murs : deux sous le buffet des orgues, une au-dessus du portail Saint-Sauveur, deux dans la chapelle du transept nord et une entre les piliers faisant face à la chaire .
  Classées parmi les monuments historiques le 20 septembre 1901, ces tapisseries avaient été déposées en 1939, à la veille de la Seconde Guerre mondiale, pour être mises à l’abri. Après la guerre, elles furent confiées aux Gobelins aux fins de restaurations. C’était le seul ensemble de tapisseries qui subsistait dans le département de l’Eure depuis la destruction des tapisseries de la cathédrale d’Évreux et la disparition des tentures historiées de Saint-Nicolas d’Évreux, église supprimée sous la Révolution.
         Dans la nuit du 12 au 13 décembre 1971 ces tapisseries ont été dérobées et n’ont jamais été retrouvées .

         À partir de documents d’archives, nous nous proposons de décrire ce qu’elles exprimaient.

         Les deux premières tapisseries étaient fixées sous les orgues. L’une, à gauche, représentait Joseph évitant la femme de Putiphar, symbolisant la chasteté. L’autre, à droite, est un fait emprunté à l’histoire de l’Antiquité tardive exprimant la miséricorde couronnée en Marcien.

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 Tapisserie de la miséricorde reconnue en Marcien. (3,02 m Ï 2,45 m).

  Il s’agit d’un épisode emprunté à l’histoire de l’Antiquité tardive : le soldat Marcien découvre sur sa route le cadavre d’un homme qui venait d’être assassiné ; animé de bons sentiments, Marcien souhaite l’enterrer et, pour cela, entreprend de creuser une fosse à l’aide d’une bêche ; des soldats accourent, le premier armé d’une pique, présumant qu’il est l’assassin.


Tapisserie de la miséricorde reconnue en Marcien.


Tapisserie colorisée par Alain Anckner,
membre de l'association Microtel de Vernon

Dans une scène plus petite située sur la gauche, on va pour le tuer quand on retrouve le coupable . Au centre se trouve une autre petite scène à multiples personnages : elle représentait l’impératrice Pulchérie  qui, après la mort de son frère Théodose le Jeune, choisit Marcien  pour époux et lui confère ainsi la dignité impériale.
  C’est ce sentiment de pitié qui inspire le sujet de la tapisserie. C’est grâce aux inscriptions de la bordure qu’il est possible d’en découvrir le sens : dans le même cartouche supérieur que précédemment on lit : « Misericordia Coronata », alors qu’une même bannière inférieure porte la mention : « In Marciano  ». Cette scène est également encadrée de fruits et de fleurs, ainsi que de deux colonnes torses ornées aussi de fruits, de fleurs et de têtes d’angelots

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Tapisserie de l’humilité glorifiée en Rodolphe. (3,05 m Ï 3,60 m).

  C’était une magnifique tapisserie, la mieux conservée de toutes, attirant le regard tant par le dessin que par l’éclat de ses coloris. L’inscription indique le sujet qui fut maintes fois traité : « Humilitas Exalta In Rudolpho  ». C’est avec une parfaite minutie que l’abbé Marsaux  a décrit cet épisode : « Rodolphe, comte de Habsbourg (1218-1291), fondateur de l’empire d’Autriche, rencontre un prêtre portant le saint Viatique. Il lui cède son cheval et marche respectueusement à ses côtés, puis il reconduit le prêtre jusqu’à son église. Le ministre de Dieu lui prédit que son acte de foi serait récompensé. Une sainte fille qu’il visita ensuite dans sa pauvre retraite (il y allait précisément lors de sa rencontre), animée d’un esprit prophétique et comme si elle eut vu de ses yeux la bonne action du comte, lui dit en l’accueillant : «  pour avoir avec respect et humilité escorté l’adorable Sacrement, le distributeur de tous les biens vous comblera d’honneur et de félicité, vous et votre postérité. C’est après le neuvième terme que vous verrez ma prédiction se réaliser ». Neuf mois s’écoulèrent et la prédiction ne se réalisa point, mais au bout de neuf ans, Rodolphe fut contre toute attente élu roi des Romains et élevé à la dignité impériale.


Tapisserie de l’humilité glorifiée en Rodolphe


Tapisserie colorisée par Alain Anckner,
membre de l'association Microtel de Vernon

  « L’artiste, remarque Raymond Bordeaux , a traité cette histoire d’une façon très pittoresque ». L’action se passe dans une forêt, et le paysage est habilement mouvementé. Rodolphe a cédé son cheval, un superbe coursier, à la crinière flottante, il a fait monter à sa place un prêtre, porteur du saint Viatique. Pour lui, il marche à pied, conduisant humblement sa monture par la bride. Il s’avance avec précaution à travers un torrent où l’eau bouillonne entre de grosses pierres. Il pose le pied sur l’une d’elles. Son écuyer fait un geste d’étonnement et d’admiration. Du reste il a suivi l’exemple de son maître, il a cédé sa monture au clerc qui accompagne le prêtre, en agitant une sonnette, comme le prescrivent les règles liturgiques. Par un contraste voulu, le cheval de l’écuyer est plus commun que le noble cheval de Rodolphe. On voit qu’il s’agit de la monture d’un serviteur. Enfin, dans le lointain on aperçoit une procession qui se dirige vers un ermitage.
 
 

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Pierre Pajot


 
Retrouvez l'article complet dans le Cahier Vernonnais N°25
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