Cercle d'Études Vernonnais

Les activités 2021
du CEV et de ses membres

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Janvier 2021

Chères adhérentes, chers adhérents,

depuis le mois de mars 2020, toutes nos activités publiques ont dû être interrompues à cause de l'épidémie.
Une seule éclaircie a eu lieu, le 24 septembre. Ce soir-là, nous avons eu la possibilité de nous retrouver nombreux, à la salle Vikings de l'EPA, pour une belle conférence de Benoît Cottereau. Les plus optimistes pouvaient espérer que cette soirée allait marquer une reprise prudente et progressive. Hélas, nous avons été rattrapés par les restrictions sanitaires puis par un nouveau confinement.
Afin de garder malgré tout le contact avec vous, nous avons pris deux initiatives.
La première a été la réalisation d'un Cahier vernonnais spécial pandémie. Rassemblant plusieurs textes consacrés à diverses épidémies depuis l'Antiquité, il vous est exclusivement réservé et vous sera distribué gratuitement.  
La seconde initiative consiste à rédiger et à diffuser par messagerie Internet de courts textes à caractère historique, ayant trait à Vernon et à la Normandie. Vous avez la possibilité de proposer vous-mêmes un texte qui sera soumis à un comité de lecture avant diffusion.
Par ces deux décisions, nous tenions à marquer notre reconnaissance pour votre fidélité. Sachez que le nombre d'adhérents n'a pas fléchi malgré les tristes circonstances. C'est pour nous un formidable encouragement à poursuivre la route ensemble, de façon encore virtuelle avant de se retrouver... le plus vite possible.
Avec nos sentiments cordiaux.
Jean Pouëssel, président, et les membres du conseil d'administration du CEV
8 novembre 2020
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Février 2021


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Mars 2021


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Avril 2021


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Mai 2021
 
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Soirée de Juin 2021

juin : soirée à Croisy
Visite et repas initialement prévus le 18 juin 2020 sont reportés en juin 2022
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Septembre 2021
     23 septembre
 « La Normandie de Guy Maupassant (1850-1893) » par Gérard Gengembre

Gérard Gengembre

Présentation de la conférence :

    «Quand nous sommes ensemble, nous parlons patois, nous vivons, pensons, agissons en Normands, nous devenons des Normands terriens, plus paysans que nos fermiers» (Les Bécasses, 1885) : Maupassant revendique fièrement ses racines normandes. ProvinceMaupassant maternelle, la Normandie représente pour lui une terre paysanne et maritime, alliance des éléments, un ensemble de références, de repères géographiques, de thèmes où se déversent à plaisir les stéréotypes, un espace investi par le regard ethnographique, un milieu naturel et culturel.

    Bref, la Normandie est une patrie charnelle et littéraire.  L’on n’est pas en peine de mettre en évidence une veine, ou un cycle, ou un ensemble normands dans ses œuvres, surtout si l'on y inclut un roman comme Une vie. Cette source d'inspiration occupe une place prédominante jusque vers 1884-1885, pour s'effacer derrière les thèmes parisiens. Elle revient au premier plan à la fin d'une vie menacée par la folie.

Résumé de la conférence :

Maupassant, écrivain normand ?

On trouverait sans peine de quoi alimenter d'élégants développements sur un Maupassant « écrivain régionaliste », chantre du terroir, poète du cru. Et pourquoi pas, d'ailleurs? Ce n'est pas un crime... Maupassant éprouve pour sa Normandie un attachement viscéral, et sait en détailler les divers paysages et les saisons. On ne saurait cependant réduire ses contes normands (66 au bas mot, plus 3 romans où la province joue un rôle important) à on ne sait quelle entreprise de guide ou d'anthropologue, ou d’ethnologue. Le fameux « réalisme » de Maupassant doit être comparé à celui, tout aussi fameux, du maître de Croisset, de Balzac, le grand ancêtre, de Zola et des naturalistes. Autrement dit, c'est d'abord une affaire de vision. Ajoutons qu'il ne suffit pas de multiplier toponymes —authentiques ou inventés — pour « faire » encore plus normand et termes dialectaux pour se voir taxé de réaliste. Le point de vue appartient le plus souvent à un Parisien s'adressant à d'autres citadins. La véritable littérature réalisto-régionaliste implique une tout autre écriture, un tout autre rapport à la terre et aux êtres. On ne trouverait même pas chez Maupassant un recours au pittoresque et à la couleur locale équivalent à ce que l'on célèbre chez Alphonse Daudet. Sans que cela constitue une preuve victorieuse
Fille de ferme, force est de constater que Maupassant réussit aussi bien dans ses contes situés en Corse ou en Algérie. Et que dire des contes parisiens ? Non, Maupassant n’est pas un écrivain régionaliste.
Certes, des confins de la Picardie à ceux de la Bretagne, du Havre à Argentan, Maupassant évoque toutes les faces de la province, et surtout le pays de Caux. Paysages côtiers, falaises, valleuses, ports de pêche, plages que le tourisme commence à transformer et défigurer, bords de Seine, intérieur des terres, plateaux, bocage, villes, bourgs et villages, fermes et hameaux : la variété des sites va de pair avec celle des saisons. Neige et soleil, brume et pluie tracent l'arc du climat. Quant aux personnages, ils composent une société quasi complète, à la notable exception des ouvriers de la Normandie industrielle des fabriques, des usines et des forges. Mais qu'on y prenne garde : le paysan chez Maupassant ne vaut pas comme représentant d'une classe sociale, mais comme tempérament. Proche de la nature, il n'a rien à voir avec les ruraux à la George Sand. Point de bucolisme ni d'églogue chez Maupassant ! Ses paysans possèdent une force vitale, une énergie, une violence, un naturel où la satisfaction des intérêts ou des passions l'emporte. Animés par le désir, ils vivent, si l'on veut, en marge de la société « civilisée ».
Outre toutes les implications existentielles, l'accord profond entre Maupassant et la Normandie tient peut-être en cette familiarité qui lui donne d'emblée un cadre, une atmosphère, des types. C'est dans cette Normandie primordiale, essentielle, que le regard s'est éduqué et affiné. Voir, c'est savoir. L'œil comprend et déchiffre. Maupassant se définit lui-même comme un « regardeur » : « Voir : tout est là, et voir juste. J'entends par voir juste, voir avec ses propres yeux et non avec ceux des maîtres » (lettre à Maurice Vaucaire, 1886). On conçoit le drame que représentèrent pour Maupassant ses terribles maux oculaires !

On se gardera d'opposer, ou de distinguer le Maupassant réaliste et le Maupassant impressionniste (ou le photographe, voire le cinéaste et le peintre). Plus que les modalités de la description, importe chez lui la question de la saisie et de la perte de l'objet de la représentation : « Chaque nouvelle, cérémonie funéraire qui convoque les souvenirs, immobilise et stabilise dans le monument textuel le moment commémoratif du travail du deuil, lui donne une forme éternelle, assure une pérennité du temps de la remémoration, elle donne corps à l'objet perdu au lieu de permettre l'acceptation de la perte ». Ce lien entre écriture et souvenir s'exprime en particulier dans un passage pré-proustien d'une chronique :

« Singulier mystère que le souvenir !... Pourquoi ces retours brusques vers l'autrefois? Qui sait? Une odeur qui flotte, une sensation si légère qu'on ne l'a point notée, mais qu'un de nos organes reconnaît, un frisson, un même effet de soleil qui frappe l'œil, un bruit peut-être, un rien qui nous effleura en une circonstance ancienne et qu'on retrouve, suffit à nous faire revoir tout à coup un pays, des gens, des événements disparus de notre pensée. »

L'ancrage normand refonde l'écrivain dans son être, lui restitue des sensations, où, se joignant à la vue, l'odorat permet une communion avec l'univers, ce qui dépasse l’arsenal des clichés dont se composent tout à fait volontairement ses descriptions de paysages normands. L'association de ces sens est particulièrement notable dans Miss Harriet, L'Aveu, Le Vieux, Le Fermier. Elle participe d'une harmonie générale. Peut-être en définitive cette inspiration normande favorise-t-elle la mise en pratique d'un idéal stylistique chez un auteur possédant au plus haut degré le sentiment de la langue française, cette «eau pure». Il suffit de lire ce qu'il écrit dans la préface à Pierre et Jean, intitulée le Roman  (1888) :
«Il n'est point besoin du vocabulaire bizarre, compliqué, nombreux et chinois qu'on nous impose aujourd'hui sous le nom d'écriture artiste, pour fixer toutes les nuances de la pensée; mais il faut discerner avec une extrême lucidité toutes les modifications de la valeur d'un mot suivant la place qu'il occupe. Ayons moins de noms, de verbes et d'adjectifs aux sens presque insaisissables, mais plus de phrases différentes, diversement construites, ingénieusement coupées, pleines de sonorités et de rythmes savants.Efforçons-nous d'être des stylistes excellents plutôt que des collectionneurs de termes rares.»

La Normandie, canton du pessimisme

On pourrait se contenter de saluer ce que la postérité a déjà statufié : le Maupassant inimitable peintre des paysans normands roublards, farceurs, un tantinet ridicules et parfois terrifiants. Soit. Justesse de l'observation, art du trait, sens du détail, tout cela est vrai, indéniable, vérifiable, et oriente maint guide de lecture. Voies et moyens de la satire, caractérisation des personnages, mise en scène du drame, panorama du monde paysan, notations pittoresques, technique de la description, agencement des ressorts (passions, argent)....  : Maupassant fait le bonheur des commentateurs.. Mieux vaut situer rapidement cette humanité des contes normands dans l'ombre portée du pessimisme de Maupassant plus encore que dans le triangle Fécamp-Le Havre-Yvetot, quand bien même nul n'a mieux décrit le pays de Caux que cet écrivain né cauchois.
Apreté au gain, dureté envers les faibles et les inutiles, hostilité à l'égard de l'étranger, du horsain, envie, jalousie, goût de la combine... : tout cela dépasse la simple étude de mœurs. Si l'intérêt gouverne tant de personnages, c'est que, par le moyen de stéréotypes, Maupassant entend dévoiler les êtres. Caricature-t-il les paysans normands? C'est un faux problème. Et d'ailleurs, il les montre avec leur chair, leur ardeur au travail, leur bon sens. Il prend comme sujet l'humanité moyenne, qu'il s'agisse de fermiers ou de gentilshommes campagnards . À la légitime problématique de la vraisemblance, on peut préférer la mise en perspective : Maupassant privilégie cette médiocrité (que l'on retrouve chez les employés, fonctionnaires et petits bourgeois des contes parisiens) parce qu'elle alimente son pessimisme, qui colore sa vision d'un monde où toute vie est désespérante, fût-elle éclairée par le rire.
Les paysages normands pourraient être classés selon une typologie, où l'on relèverait l'exactitude des notations, et pour cause : ce sont des clichés solidement établis quand Maupassant écrit. De pré en valleuse, de falaise en ferme, de ville en bourg se compose une Normandie complète. On soulignera que Maupassant traite souvent ce décor comme un ensemble de signes et de symboles. Le bonheur éphémère se dit par l'union des éléments dans une buée translucide, par l'harmonie des couleurs, l'intensité de la lumière, la suggestion de la fécondité. La nature triomphe alors, cette même nature implacable qui exerce si souvent son « éternelle injustice » (Miss Harriet). Le malheur, la cruauté, le mal se lisent dans l'anthropomorphisme, comme si l'humain dégradait tout. Chez Maupassant, les fermes n'adornent pas des paysages agrestes : étouffantes, elles exhibent leur saleté.
L'animalité, l'exercice de la malice, le parler normand, où les termes dialectaux sont finalement peu nombreux, les différents niveaux de langue, les toponymes, tout participe autant d'un souci de vraisemblance que de la création d'une atmosphère où domine la mort, par où se résout l'absurdité universelle (Miss Harriet, Le Vieux, Le Gueux, L'Aveugle, Le petit Fût...) . La tristesse profonde cachée sous les faits, tragiques ou comiques : voilà ce que Maupassant nous révèle. Que le récit adopte la technique du dévoilement progressif (Le petit Fût) ou celle du dévoilement brutal (Un réveillon, L'Aveu), qu'il se fasse mise en scène de fantasmes personnels (L'Abandonné ) ou de tableaux inquiétants (Le Modèle), qu'il s'inspire d'une anecdote, du calendrier, d'une question débattue par l'époque, il est d'abord conçu en fonction de ce regard décapant. Certaines combinaisons de choses contiennent une « plus grande quantité de secrète quintessence de vie » : n'en doutons pas, cette vie, ordinairement dispersée au fil des jours, est bien souvent sinistre. Là peut-être se cache cette « originale impersonnalité » que, de son propre aveu, Maupassant cherchait à atteindre. Force est de constater qu'il y est parvenu. Faisant défiler les victimes « du temps qui passe et fuit en dévorant les hommes, les pauvres hommes », sa comédie humaine paraît plus noire que celle de Balzac. Ainsi sans doute le veut le siècle...
Principe rhétorique autant que vision du monde, le pessimisme de Maupassant est présent dès ses premières productions, comme Boule de suif. Séparation des parents, expérience de la guerre, déchéance financière de sa famille qui le contraint à prendre un modeste emploi, mort de Flaubert, vision lucide du monde qui lui vient du journalisme, formation intellectuelle avec notamment la lecture de Schopenhauer, de Darwin et de Spencer : tout milite pour conforter Maupassant dans une vision tragique d'une humanité privée de la grâce. Dans une chronique intitulée Par-delà, il oppose les optimistes aux pessimistes qui,
Public

« parcourant d'un éclair de pensée le cercle étroit des satisfactions possibles, demeurent atterrés devant le néant du bonheur, la monotonie et la pauvreté des joies terrestres. Dès qu'ils touchent à trente ans, tout est fini pour eux. »

Il suffirait de relire les poèmes recueilli dans Des Vers (1880) pour se convaincre de la précocité des thèmes pessimistes chez Maupassant. Des chroniques, comme Nos optimistes , Causerie triste, Danger public  démontrent que l'artiste moderne est fatalement pessimiste, alors que l'écrivain romantique est un optimiste, autrement dit il produit une littérature « sophistique, sentimentale et emphatique », une littérature hypocrite, dangereuse car trompeuse.
C'est dire que le pessimisme implique une écriture du réel allant à l'encontre de la rhétorique romantique, un style capable de rendre le gris. dans son article sur « Le pessimisme en littérature », Brunetière saura reconnaître que Maupassant a su admirablement rendre cette platitude: « Mauvaise, la vie l'est sans nul doute, mais elle est surtout médiocre, l'homme naturellement plat, et voilà le principe de son pessimisme ».

Telle apparaissent cette Normandie et ces Normands sous l'œil pénétrant d'un misanthrope de génie, adepte de la religion du regard, d'un conteur pour qui l'écrit « peut se résoudre en dire », d'un satirique pour qui le vrai se traduit par le vraisemblable, ou le réel concentré, organisé, interprété, restitué dans toute sa dimension tristement grotesque et plate, fabriquée à coup de clichés et de stéréotypes. La beauté serait-elle vraiment inutile ? En tout cas, le paysage normand sauve tout, car il est pittoresque, au sens propre, et que le lecteur s’y retrouve en terrain de connivence. Oui, c »est bien cela, la Normandie, telle qu’en elle-même. Pour être Normand, on n'en est que plus homme. Normand, humain, trop humain ! En définitive, le «Vieux» (Flaubert) avait raison : Yvetot vaut bien —mieux que, ajouterons-nous — Constantinople …
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Octobre 2021
Jeudi 28 octobre
  « La présence des Normands sur les côtes d’Afrique occidentale à partir du XIVe siècle » par Jean Claude Viel

PrésJean Claude Vielentation de la conférence :
    
Plusieurs ouvrages publiés en France  au XVII
ͤ  siècle soutiennent que des  marins normands ont  exploré les côtes africaines et atteint les eaux de l’Afrique de l’Ouest dès 1363 – plus d’un siècle avant que les Portugais ne s’y aventurent  pour la première fois.

     Ces hardis navigateurs de Dieppe et de Rouen avaient installé des comptoirs à partir desquels ils entretenaient des relations commerciales avec les indigènes qui leur vendaient de l’or, de l’ivoire et du poivre.
Dans sa conférence, Jean-Claude Viel, membre du CEV, examinera les documents sur lesquels s’appuient les partisans des découvertes normandes ; il tentera d’en évaluer l’authenticité et l’exactitude afin de répondre à cette question : « Les Normands sur les côtes africaines au XIVͤ  siècle. Mythe ou réalité ? »
    Les nombreux indices de la présence normande ont longtemps été peu probants mais des découvertes récentes ont apporté un éclairage nouveau qui permet de reconsidérer la question et de parvenir à des conclusions solides.


Résumé de la conférence :
    Devant un auditoire bien fourni malgré les vacances de Toussaint, Jean-Claude Viel, présenté par Jean Pouëssel qui a rappelé l’appartenance du conférencier au CA du CEV, a d’abord expliqué que l’on attribue aux Portugais la découverte européenne des côtes africaines au XVe siècle et illustré son propos de cartes anciennes, indiquant la représentation que l’on se faisait alors de ce continent et de son littoral.
    Or, un ouvrage en particulier, publié en 1659 par le sieur Villault de Bellefond, intitulé Relation des côtes d’Afrique, appelées Guinée, affirme que des Dieppois, après de nombreuses tentatives, ont réussi à doubler le périlleux cap Bojador et atteignent  le cap Vert à la latitude de l’actuel Dakar, dès la Noël 1364.

  Dépassant ainsi les Canaries, terme des voyages antérieurs, ils ont commercé avec les indigènes, échangeant de la bimbeloterie et des tissus contre de l’ivoire, du cuir et des peaux.
    De retour à Dieppe, ces hardis navigateurs tirent un joli bénéfice de ces marchandises, au point qu’est créée une société dieppo-rouennaise pour financer d’autres voyages commerciauPetit Dieppex. Les marins marchands dieppois vont alors jusqu’à l’actuel Libéria et achètent de la malaguette, épice proche du poivre, et, en 1383, atteignant l’actuel Ghana où ils acquièrent de l’or. La géographie de la côte africaine se répartit  alors en « côte d’ivoire », « côte des graines » et « côte de l’or ».
    Il ne s’agit nullement d’une entreprise de colonisation et encore moins d’esclavage, mais ces voyages se limitent à des échanges commerciaux pratiqués dans des comptoirs. Existent alors un Petit Dieppe, aujourd’hui River Cess Town au Libéria, un Petit Paris, à la localisation incertaine, un Saint-Georges de la Mine au Ghana, devenu Elmina, où un fort engloberait des éléments d’un fortin dieppois.
    En 1410, les terrAfriqueibles crises dans le royaume de France (guerre de Cent Ans) et plus généralement en Europe (conséquences de la Peste noire) mettent fin à ce commerce, qui tombe alors dans l’oubli.
    De nombreux textes antérieurs ou postérieurs affirment la présence française, sans apporter de preuves. Pourtant, un portulan des années 1350-1370 montre une Afrique un peu plus proche de la forme que nous lui connaissons.
    Un détail est intéressant : l’usage culinaire de la malaguette est fort répandu dans la cuisine française à la fin du XIVe siècle, mais disparaît après 1410.
    En 1867, une copie d’un manuscrit est publiée par l’archiviste Pierre Margy dans Les Navigateurs français du XIVe au XVIe siècle, manuscrit qui évoque ces voyages, dans un français du début du XVe siècle mâtiné de normano-picard, qui est authentifié par la grande spécialiste de la langue française de cette époque.
    De plus, un archiviste de Rouen, Léonard Sainville, découvre un texte daté de 1369 mentionnant la vente d’un morceau d’ivoire brut venu du Sénégal par un personnage qui pourrait être le chef des expéditions dieppoises.
    Si l’enquête n’est pas close, il semble bien qu’un faisceau de présomptions puisse accréditer la réalité de ces voyages et de ce commerce dieppois avec l’Afrique au XIVe siècle. Quant à l’ouvrage de 1659, dédié à Colbert, ministre de la Marine, dont dépendaient les colonies sous le règne de Louis XIV, il va dans le sens de la politique menée en faveur de l’extension des colonies et du commerce ainsi généré.
    À la suite de cette passionnante conférence, plusieurs questions sur la navigation et l’image de l’Afrique à la fin du Moyen Âge, ainsi que sur l’artisanat dieppois de l’ivoire, ont montré l’intérêt pris par un public fort intéressé, qui découvrait cet aspect de l’histoire normande.


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Novembre 2021
Jeudi 18 novembre
 « Barbé-Marbois » par Guy Quintane

Présentation de la cGuy Quintaneonférence :

    À quelques kilomètres de Vernon, Noyers possède le charme discret des villages du Vexin normand, même s'il se singularise par la présence d’un château construit à la fin du XVIe siècle qui a connu depuis de nombreuses transformations. C’est ce château, et les terres qui en dépendaient, dont François Barbé-Marbois fit l’acquisition en 1804. Il y est enterré auprès de son épouse, dans un enclos tout proche du château.

    François Barbé-Marbois reste, dans l’histoire de notre pays, un personnage de tout premier plan. Son parcours étonnant en témoigne, un parcours débuté sous le règne de Louis XV et qui s’achèvera sous la Monarchie de Juillet.
    Sur le plan professionnel, il est l’un des rares, peut-être même l’un des seuls de ceux ayant eu la qualité de hauts fonctionnaires, qui auront servi successivement dans tous les grands corps de l’État ou dans les services qui les constitueront : membre du Conseil d’État, de la Cour des comptes, en charge de fonctions qui seront celles de l’Inspection générale des finances. Il sera aussi diplomate, administrateur de l’Outre-mer, directeur d’administration centrale.

    Sa carrière politique sera au moins aussi riche : il sera maire d’une grande ville, député, sénateur, ministre. Parmi toutes ces fonctions, deux d’entre elles seront les marqueurs essentiels de sa vie publique : celle de ministre du Trésor et celle de Premier président de la Cour des comptes.

    Le conférencier est un membre du CEV, Guy Quintane, professeur de droit public, ancien doyen de la faculté de droit de Rouen.
Résumé de la conférence :Barbe Marbois
    Dans sa présentation, Jean Pouëssel a rappelé que Guy Quintane est juriste, professeur honoraire à la faculté de Droit de Rouen et membre du CEV ainsi que sa communication au congrès de la FSHAN de 2017 à Giverny, le conférencier a développé avec maestria devant un auditoire venu en nombre dans la salle Maubert un sujet ardu et technique.

    Après avoir rendu hommage à Michel Mallez qui l’avait encouragé à présenter cette conférence, Guy Quintane a d’abord brossé un rapide historique des grandes figures qui se virent confier les finances du royaume puis de la nation, depuis frère Guérin sous Philippe-Auguste jusqu’à René Mayer (Maire de Giverny de 1945 à 1953) dans les cabinets Schuman et Pleven de la IVe République, en passant par Eudes Rigault, Euguerrand de Marigny, Turgot ou Ramel. Il a fait remarquer que vingt des quarante ministres furent normands.

    Il a ensuite situé les principales étapes de la vie de Barbé-Marbois depuis sa naissance à Metz. Diplomate durant dix ans, dans les capitales de différents États allemands (Ratisbonne, Dresde, Munich) puis aux États-Unis, intendant à Saint-Domingue de 1785 à 1789, maire de Metz en 1795, membre du Conseil des Anciens, déporté en Guyane après le coup d’État du 18 Fructidor an V (4 septembre 1797) car soupçonné d’avoir des accointances royalistes, libéré après le 18 Brumaire, il entre au Conseil d’État en 1800. Inspecteur puis directeur des Finances en 1801, il devient ministre du Trésor ; il le reste jusqu’en 1806. Avant d’être sénateur en 1813 et membre de la chambre des Pairs en 1814, il est nommé premier président de la Cour des comptes en 1807, poste qu’il occupera jusqu’en 1834.

   Barbe Marbois Guy Quintane a alors abordé la partie centrale de sa conférence : le fonctionnement du Trésor sous le Premier Empire, puis celui de la Cour des comptes.

    Napoléon s’intéresse beaucoup aux finances, et se veut très vigilant sur leur utilisation. Refusant les contributions indirectes et les emprunts, il exige une gestion rigoureuse. La richesse nationale est estimée à six milliards de francs, le revenu moyen à 600 francs. Les dépenses publiques se montent à 450 millions. Elles sont majoritairement consacrées à l’armée. En 1813, elles atteignent un milliard.
Le Contrôle général qui fonctionnait sous la monarchie est supprimé en 1790 et laisse place à deux entités : les Contributions, donc les recettes, et la Trésorerie, rattachée en 1800 au pouvoir exécutif et employant de 7 à 800 fonctionnaires. En 1804 sont créés les percepteurs et les receveurs départementaux.
En 1801, la monnaie est stabilisée avec la création du franc germinal, titrant 5 grammes d’argent ou 170 milligrammes d’or. 1800 voit la fondation de la Banque de France. Barbé-Marbois joue un rôle essentiel dans toutes ces réformes. Il est également l’artisan de la vente de la Louisiane en 1803, qui rapporte 50 millions à l’État. Il reçoit une commission de 192 000 francs.
Les receveurs prêtent à l’État puis se remboursent. En 1804, c’est l’affaire des Négociants réunis (dont le célèbre banquier et fournisseur aux armées Ouvrard) avec un trafic sur les piastres espagnoles.
Les finances sont très mal en point en 1805. Pour continuer à financer la guerre, l’armée se paie sur les pays occupés.
Mécontent en raison de la crise de 1805 et surtout de l’affaire des Négociants réunis, Napoléon chasse Barbé-Marbois du Trésor en 1806 et le remplace par Nicolas Mollien, mais lui confie la Cour des comptes, créée le 16 septembre 1807. Entre temps, Barbé-Marbois achète pour 250 000 francs le domaine de Noyers dans l’Eure, qu’il agrandira et qui s’étendra sur 850 hectares.Tombe

    La Cour des comptes remplace les chambres des comptes de l’Ancien Régime. On notera que la Normandie fut pionnière, car elle vit la création de la première d’entre elles. Cette institution publicfit l’objet de textes essentiels sous sous Philippe IV le Bel, complétés sous Philippe V le Long en 1319-1320. Son efficacité se dégrada surtout à partir du XVIe siècle avec la multiplication des chambres.

    La Cour des comptes a pour mission d’apurer les comptes. Elle les « juge » mais n’intervient pas dans leur gestion effective.

    Guy Quintane a terminé sa conférence en revenant sur la vie conjugale de Barbé-Marbois. Mari fidèle et attentif, il prit soin de sa femme, née Elizabeth Moore en 1765, fille du gouverneur de Pennsylvanie, épousée en 1784 à Philadelphie. Celle-ci avait été en effet fort affectée par la déportation de son mari. Elle meurt en 1834. De confession protestante, elle ne peut être inhumée dans l’enceinte du cimetière de Noyers. La tombe de son mari sera accolée au mur du cimetière, juste de l’autre côté de celle de sa femme. Le mur a été percé depuis, les réunissant enfin dans la mort.
Les nombreuses questions du public à la fin de la conférence démontrent que l'orateur, malgré l'aspect apparemment austère du sujet,  a réussi à captiver son auditoire par la clarté de son
propos.

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Décembre 2021
jeudi 16 décembre

"Vernon, carrefour ferroviaire" par Jean-Michel Zanaroli

Présentation de la conférence :vernonnet
    Les rapports entre Vernon et le rail ont toujours été ambigus. Les Vernonnais qui pestent quotidiennement contre les retards chroniques de rames bondées savent-ils qu'ils empruntent une ligne historique, conçue, exécutée et exploitée (du moins à ses débuts) par un personnel presque exclusivement recruté outre-Manche ?
 
  Le Paris-Rouen s'est imposé à Vernon malgré l'hostilité des bateliers, des rouliers et d'une municipalité traumatisée à l'idée de voir sa ville coupée en deux par une profonde tranchée. Cependant le bruit, la fumée et les passages à niveau fermés n'ont pas fait que des mécontents. Le roi Louis-Philippe appréciait ce moyen de transport qui mettait sa résidence de Bizy à 1 h 15 trainde la capitale.
    Bientôt quelques riches voyageurs et quantité d'humbles émigrants traverseraient en trombe Vernon avant d'embarquer au Havre pour l'Amérique. Cette ligne a inspiré Émile Zola, les peintres impressionnistes, puis Jean Renoir. Elle a aussi renforcé le rôle militaire de Vernon, reliant les casernes du Train des Équipages à la France entière.
    La défaite de 1870 va encore renforcer le rôle ferroviaire de Vernon en accélérant la construction de la transversale Pacy-Gisors qui a si cruellement fait défaut lors du siège de Paris par les Prussiens. Grâce au train, Vernon s'imposera comme centre hospitalier important pendant la Première Guerre mondiale. En 1944, les bombardiers alliés mettront fin au Pacy-Gisors. Une profonde mutation se prépare, que Vernon regardera de loin, préférant s’intéresser à l'espace.
     Aux rapides vers le Havre succèdent les convois d'hydrocarbures et d'automobiles, et la ligne bénéficiera d'une des premières électrifications sous 25 000 volts. Vernon a été boudée par le TGV et est devenue une ville de banlieue.

    Le Pacy-Gisors a laissé quelques traces dans notre paysage urbain que nous nous efforcerons de retrouver ensemble, mais sans lui Claude Monet n'aurait probablement pas choisi de s'établir à notre porte et notre gare ne s'appellerait pas Vernon-Giverny...  
    C'est Jean-Michel Zanaroli, membre du CEV, qui présentera cette conférence originale, abondamment illustrée.

Résumé de la conférence :
Les auditeurs étaient venus en nombre à ce rendez-vous attendu depuis un an, comme l’a rappelé Jean Pouëssel dans son introduction, puisque la conférence de Jean-Michel Zanaroli, membre du CEV, avait été programmée en décembre 2020, mais reportée en raison de la situation sanitaire. Après avoir rendu hommage à Jean Castreau qui, depuis des décennies, s’occupe de l’affichage en ville des conférences du CEV, le président a également déploré que, une nouvelle fois, le Démocrate vernonnais n’ait pas publié le texte de présentation. La presse locale semble ne plus être en mesure de donner toutes les informations sur les activités culturelles et de loisirs se déroulant dans notre ville.

Jean-Michel Zanaroli, qui fut professeur d’anglais aux lycées Georges-Dumézil de Vernon et André-Malraux de Gaillon, ayant tenu à souligner qu’il n’était pas historien, a captivé son auditoire, faisant de son coup d’essai – il s’agissait de sa toute première conférence – un coup de maître, avec un discours bien organisé, abondamment illustré et mené à un bon rythme.

Le conférencier a justifié d’entrée le titre, « carrefour ferroviaire », en rappelant que Vernon devint tel quand l’armée, tirant les leçons de la défaite de 1870, comprit la nécessité de contourner Paris pour d’évidentes raisons stratégiques. Ainsi, se croisèrent à Vernon les lignes Paris-Le Havre et Pacy – Gisors.

Au commencement furent les Anglais
Dans un premier temps, Jean-Michel Zanaroli a retracé l’histoire du chemin de fer depuis ses origines anglaises (ce qui explique que les trains roulent à gauche et que l’écartement des voies est de 1,435 mètre !). La révolution industrielle et l’exode rural entraînèrent la révolution des transports. Grâce à George Stephenson (1781-1848), s’ouvrirent les lignes Stockton – Darlington puis Manchester – Liverpool (1829) et son fils Robert, au même moment que le Français Marc Seguin, inventa la « Rocket », la première locomotive à chaudière tubulaire, qui, améliorée, devint la « Patentee ».

La ligne Paris-Rouen
En France, sous l’influence des Saint-simoniens, adeptes du progrès et du libre-échange, Émile Péreire et James de Rothschild financent la ligne Paris – Saint-Germain, fournie clés en main par les Anglais. Ouverte le 24 août 1837, elle conduira le premier mois130 000 passagers à la vitesse de 30 km/heure. Financée par les frères Laffitte et des investisseurs anglais, la ligne Paris – Rouen sera alors construite par des ingénieurs et terrassiers britanniques, irlandais (les « navvies ») et français. Installé à Sotteville, William Buddicom fabrique la locomotive qui porte son nom et qui rendra de bons et loyaux services durant quatre-vingts ans.

Alors le plus long du monde avec ses 2 641 mètres, le tunnel de Rolleboise est achevé en vingt mois pour un coût de 2,5 millions de francs, et, le 3 mai 1843, un train de dix-huit voitures, avec à son bord deux des fils de Louis-Philippe, rejoint Rouen en 4 h 10, ces dix minutes correspondant à l’arrêt pour le ravitaillement en eau et charbon en gare de Vernon, construite évidemment sur un modèle anglais. Terminée avec six mois d’avance, la ligne aura coûté 5,5 millions de francs. Elle est prolongée jusqu’au Havre en 1847. Au début mal accueilli à Vernon, ville coupée en deux par la voie de chemin de fer, le train est en revanche adopté par Louis-Philippe qui peut se rendre dans son château de Bizy en 1 h 15. Le commerce et l’armée en bénéficient grandement (rappelons que Vernon est une grande ville de garnison pour les équipages du... train, justement, et que ceux-ci se branchent sur la ligne principale).

Autre retombée majeure : de Turner à Monet ou Caillebotte, la prise en charge par les peintres de cette modernité ferroviaire, celle des gares, de la vapeur, de la vitesse, des paysages transformVernonnetés…

Quel carrefour ?
 Malheureusement construite au rabais par Claverie et Desroches (voie unique, passage au ras des maisons), la ligne Orléans – Rouen, d’abord destinée au transport du blé de la Beauce, voit se greffer sur elle une ligne Gisors – Vernonnet, ouverte le 15 juillet 1869. Un pont sur la Seine est achevé le 15  mai 1870. On le fait sauter six mois plus tard pour tenter de retarder l’avancée des Prussiens.
Après la guerre, sous l’impulsion d’Alexis Legrand, est dessiné un réseau ferré autour de Paris. Le pont est reconstruit en 1872 et le tronçon Pacy – Vernon est achevé le 1er mai 1873. C’est un « bide » commercial, d’autant que la connexion avec la ligne Paris – Le Havre est aberrante. La compagnie de l’Ouest reprend les lignes, pour les céder à l’État en 1904. Grand serviteur
pontde l’État, Raoul Dautry les rendra rentables.
Le pont est de nouveau détruit en 1940. L’occupant allemand déferre le tronçon Pacy – Vernon, envoyant les rails sur le front de l’Est et les traverses sur le mur de l’Atlantique. S’il reste le t
ronçon Vernonnet – Gisors, cela sonne le glas du carrefour ferroviaire qui sera abandonné après la Libération.

 Que reste-t-il aujourd’hui  de ce carrefour disparu?route rouen
La ligne Paris – Le Havre connaît durant les Trente Glorieuses une forte augmentation du trafic marchandises. Elle est la première
à être électrifiée et à recevoir les rames réversibles. Hélas, depuis plusieurs années, les usagers subissent des conditions de transport de plus en plus insupportables.
De la ligne Pacy – Gisors ne subsistent pour l’essentiel que la gare de Pacy-sur-Eure, siège du train touristique, avec le début de l’amorce de l’embranchement vers Vernon, le chemin de grande randonnée qui, depuis Pacy, suit le tracé de l’ancienne voie, le bâtiment de la gare de Giverny-Limetz, où Monet prenait le train, ainsi que quelques buttes témoins dans la forêt de Bizy et dans Vernon, le long des avenues et boulevards, le tout répertorié par les photos de Jean-Michel Zanaroli, véritable reportage archéologique. Il semble que soit complètement effacée la trace du passage à niveau qui coupait la rue de Bizy.
Pour conclure, le conférencier a déploré qu’aucun panneau ne rappelle l’existence de cette ligne, partie intégrante de notre histoire.
Après quelques questions et des applaudissements amplement mérités, Jean Pouëssel a donné rendez-vous à l’assemblée générale de janvier et souhaité de bonnes fêtes à l’assemblée.

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